Petit,
j'ai souvent entendu raconter une anecdote sur mon arrière grand-père
maternel Pierre CONSTANS. Mon oncle Yves n'avait pas son pareil pour la
raconter, il faisait rire tout le monde, même si on râlait
parce qu'on "la connaissait par coeur" !
Aux
vacances de Noël 2006, j'ai décidé d'enregistrer "tonton
Yves", comme on l'appelait depuis la naissance de mes fils. Le son
n'est pas terrible, il vous faut tendre l'oreille si vous voulez tout
comprendre et admirer le sens du détail.
L'action
se situe sur la route très pentue qui descend du château
de Piquecos vers le gué de l'Aveyron, sans doute début 1900,
quand Pierre était jeune... et imprudent. Car la côté
était trop raide pour les vélos de l'époque : avec
beaucoup de courage et d'énergie, on pouvait la monter, mais la
descendre, c'était une autre histoire ! La plupart des vélos
n'avaient pas le système du pédalier à roue libre
(inventé en 1898) ni de frein ! On mettait pied à terre
et on se rendait à pied au bas de la côte.
Je
pense avoir repéré la route sur la carte IGN : 1,350 km
m de long et une pente moyenne de 8 % (source : article wikipedia sur
le
tour cycliste du Tarn-et-Garonne). D'après le journal La
Dépêche, plusieurs coureurs tirent la langue quand il
faut la monter !
La côte du château
de Piquecos en pointillés rouge (le cercle rouge indique le virage
possible de la chute)
Ecouter
l'enregistrement
Moi
: "
- Alors, il avait un vélo tu disais ? Yves
: - Oui, un vélo, à roue fixe. Alors, il la montait
en vélo, cette côte, et puis après, au retour, si
elle se monte, elle doit se descendre. Moi : - Il ne l'avait jamais descendue avant ? Yves : - Non, alors il a voulu la descendre, mais des
freins, il n'y en avait pas ! Et alors tu freinais, parce que ce n'était
pas une roue libre, avec les pieds, en retenant sur les pédales.
Seulement à un moment donné, il n'a pas pu, avec la pente,
retenir, il a pris de la vitesse, les pédales lui ont échappé
des pieds, et plus il descendait, parce qu'elle est longue, et plus il
prenait de la vitesse !
C'est là qu'à moitié, il y avait un vieux qui s'appelait
Pierreto, qui avait des vaches, deux ou trois vaches !
Il lui faisait signe de loin, avant d'y arriver, [il parle en patois]
Ande las mas [en faisant signe avec les mains] :
"Saras vous des pès passes, saras
vous des pès passes !" ["Sortez-vous
de là, sortez-vous de là !"]
Parce que la vitesse lui avait pris, si jamais une vache traverse à
ce moment-là, je lui tape la tête dans le ventre ! Alors
au moment où il arrivait, l'autre, il lui a semblé entendre
quelque chose, il s'est retourné, figure-toi, il est passé
comme l'éclair, il a frôlé le cul de la vache. Heureusement
que la vache avait avancé assez, il l'a évitée un
peu - il l'a touchée un peu mais ça n'était rien,
il n'est pas tombé, là.
Alors il a dit au fond, il y a une plantation de pruniers, je vais accrocher
un prunier avec un bras comme je pourrais et je laisserai partir le vélo
! Seulement; il a loupé son chose, il marchait tellement vite,
il n'a pas pu prendre le tournant et en face de lui ils avaient fermé
des oies, il a sauté cette planche, tout le troupeau d'oies il
n'en a touché aucune, il y avait une haie peu plus loin [rappel]
et il va planter le vélo dans la haie !
Le vélo est resté tout droit planté dans la haie
et lui il s'est trouvé tout droit de l'autre côté
de la haie, il avait perdu juste une manche de la chemise. Moi : - Et il y a des gens qui l'avaient vu alors ? Yves : - Eh oui, il y en a beaucoup qui l'ont vu. En
bas, il y avait des gens par là qui l'ont vu, ils y ont galopé
et sadis [ils ont dit] "Constans il s'est tué !".
Et il n'avait rien du tout."
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la version de l'histoire, il avait simplement perdu un bouton de manche,
Pierreto était sourd... Mais la narration était bien rodée,
n'étaient jamais omis les pédales qui s'emballent, le cul
de la vache, l'enclos pour les oies, le vélo planté dans
la haie et surtout mon arrière-grand-père indemne !
Ce
document audio est le seul de mon oncle Yves décédé
2 ans plus tard, vous imaginez à quel point cet enregistrement
m'est précieux !